Quelle est la place du multimédia dans votre vie professionnelle ?
J’ai grandi en même temps que le décollage de l’informatique grand public. Même si les origines du « multimédia » sont bien plus anciennes, on peut dater l’arrivée massive des premiers systèmes d’exploitation multimédia sur son ordinateur personnel vers 1995, ce qui correspond précisément à l’année de ma promotion INSA.
Quel a été votre parcours en sortant de l’INSA ?
En sortant de l’école, je souhaitais plus travailler la création de jeux vidéo, le bricolage interactif ou la réalisation audiovisuelle, que la modélisation UML ou la gestion de projets. Comme le dit Steve Jobs : « Je voulais juste être un bon ingénieur, écrire des programmes et concevoir des ordinateurs ». C’est au fur et à mesure de l’évolution des NTIC et des besoins professionnalisation de l’ingénierie de production numérique, que j’ai découvert la richesse de ma formation initiale et la valeur de la méthodologie scientifique que j’avais acquise. Et que j’ai pu la mettre à l’épreuve dans une approche personnelle du métier, qui consiste à partager une démarche rigoureuse, rationnelle, et une exigence émotionnelle, nécessairement plus imprévisible et moins conformiste.
En arrivant sur le campus de la Doua en 1990, j’y ai trouvé une diversité culturelle qui complétait avantageusement les études que je trouvais un peu trop arides à mon goût. La sélection des films 35mm projetés par les passionnés lors du ciné-club du mardi soir, l’infatigable Insatiable (le journal étudiant), les festivals de musique, les expos photos de la bibliothèque de la Rotonde ont canalisé l’appétit que nous avions tous pour l’échange et les pratiques culturelle. Pour moi, le premier choc a été la première biennale d’art contemporain à Lyon en 1991. Le deuxième, la formidable représentation des « Sorcières de Salem » par la troupe des théâtre-études (1992). Sans attendre la fin des 5 ans, j’ai su que je voulais travailler dans le domaine culturel.
Un peu d’archéologie du multimédia pour ceux qui me lisent et qui ont découvert récemment que le téléphone avait un fil avant les années 90. A quoi ressemblait le multimédia des années 1990-1995 au département IF ? Par exemple : dessiner une courbe en couleurs dans une fenêtre Linux pouvait être un sujet de TP, un démineur sous OS2 le seul jeu installé sur les babasses, le site web du Louvre en GIF animé le summum du multimédia, le logiciel Hypercard sur les Macintosh SE l’apogée de l’interactivité. J’ai connu les premières parties de Doom en réseau en dernière année seulement. Peu de gens pouvaient deviner qu’on allait produire moins d’une dizaine d’années après des installations d’art vidéo avec des outils comme Processing ou que l’on allait partager ses photos avec ses proches sur Internet via Flickr.
Considérez-vous que parcours est atypique?
Mon parcours à la sortie de l’INSA n’était pas tout tracé. J’ai fait parti de ceux qui doutaient de leur capacité à s’intégrer dans le monde de l’entreprise tel que je le percevais dans mes stages. En fait, mon objectif était de m’installer à Paris, et accessoirement de me mettre au boulot et de gagner ma vie. Une fois le service militaire passé, j’ai accepté un poste d’analyste développeur en banlieue parisienne, dans une SSII qui travaillait sur des logiciels d’audimat pour une grande chaîne hertzienne. J’ai été recruté en CDI par un ancien INSA, après un seul entretien, qui a cru reconnaître en moi les qualités qui faisaient un bon développeur informatique. J’ai quitté la société au bout d’un an pour rejoindre un éditeur que je connaissais de réputation depuis longtemps : Montparnasse Multimédia.
D’abord comme assistant du chef de projet, j’y ai développé les premières bases de données de gestion de production, les premiers référentiels éditoriaux. J’ai été tenté de prendre une direction technique, avant de me voir confier la production exécutive de plusieurs produits culturels interactifs (DVD-Rom, jeux vidéo, site internet) en tant que chef de projet. Agir au coeur de production avec une approche d’ingénieur m’a permis d’y trouver la maîtrise de ce qui me plaisait le plus. J’ai collaboré avec une équipe de talents pour produire en quelques mois le DVD-Rom officiel du Louvre. Mon goût pour le design numérique s’est alors affiné, j’ai pris la direction artistique d’un jeu vidéo multi-joueurs.
Après l’éclatement de bulle internet et le dépôt de bilan de la société en 2002, j’ai répondu à une annonce du Ministère de la Culture et j’ai été recruté pour prendre la direction du projet multimédia d’un nouveau établissement culturel en construction : le musée du quai Branly.
Suite à l’inauguration du musée, j’ai fondé avec un associé un cabinet-conseil spécialisé en ingénierie culturelle et multimédia. Selon des projets je travaille comme assistant maître d’ouvrage, maître d’œuvre ou concepteur multimédia
Vous parlez beaucoup de « multimédia culturel ». De quoi s’agit-il précisément et quelle définition lui donnez-vous ?
Ceci échappe à une définition simple. Pour la grande majorité, le multimédia est un terme fourre-tout, où l’on classe indifféremment les vidéos où on voit danser un chien sur la macarena, les menus clignotants des téléphones portables, les sites internet qui permettent de colorier sa chaussure en 3D, etc… Dans cette approche, le multimédia est un bonus décoratif pour faire vendre et consommer encore plus. Il est secondaire en tant que mode d’expression artistique et technologique.
Pour qualifier un objet de multimédia, il faut préciser trois choses. La base même d’une création numérique est son contenu, son support de diffusion (qui n’est ni analogique, ni mécanique, ni électronique) et la dimension participative de l’œuvre ou du produit. Une création multimédia peut être définie comme l’assemblage d’une collection de contenus numériques dont la visualisation s’effectue de manière interactive et délinéarisée.
On peut aussi définir le multimédia comme l’industrie du contenu numérique et la pratique artistique des Nouveaux Médias. Sans nécessairement faire la différence entre le contenant – dispositif de diffusion ou d’interface – et le contenu.
Conception, architecture éditoriale et technique, ingénierie, design de l’information, études des publics, expérimentation et scénographie : c’est en explorant ces nouveaux territoires que l’on travaille dans le multimédia. C’est en faisant des propositions personnelles sur tout ces sujets que j’en suis arrivé me spécialiser dans la médiation multimédia pour les musées.
Le musée est avant tout un lieu d’accueil des publics dédié à ses collections ou ses expositions temporaires. Avec le développement des technologies numériques se pose aujourd’hui la question de superposer au bâtiment physique et au projet scientifique et culturel un véritable musée numérique. Un peu partout dans le monde se multiplient les expériences touchant l’utilisation du multimédia dans les espaces muséographiques, la numérisation des fonds iconographiques accessibles par internet, ou la confrontation des audioguides classiques aux iPod et autres programmes podcastés. Il ne s’agit pas seulement d’une couche supplémentaire venant agrémenter les dispositifs de médiation mais bien une évolution radicale de l’expérience muséale – depuis la préparation de la visite jusqu’à la documentation complémentaire post-visite.
J’ai eu la chance de travailler en bonne intelligence avec de grand.e.s architectes, de grand.e.s DSI, de grand.e.s scientifiques, de grand.e.s artistes. Mais aussi des musiciens, des plasticiens, des illustrateurs, des comédiens, des directeurs de plateaux, des régisseurs, des techniciens, des charpentiers, des maîtres verriers, …
Pour conclure et faire le lien avec l’INSA, je dirais que face à la complexité des projets multimédia en tant que chef de projet l’important est de conserver une grande confiance dans sa direction technique, de cultiver son originalité dans la prise de risque artistique et de guider les équipes non initiées vers une attitude constructive. Pour cela, l’ingénieur polymorphe INSA répond bien aux besoins de compétences des chefs de projets multimédia dans le secteur culturel.
in Interface – Revue des associations d’Ingénieur INSA (avril 2007)